Préface des Éditions de Londres
Antigone est une tragédie de Sophocle représentée en 442 avant J.C. Ce n’est pas la première ni la dernière fois que la tragédie reprend le thème thébain (voir Les Sept contre Thèbes de Eschyle). Antigone, c’est la première femme forte de l’histoire. C’est aussi le symbole de la lutte de l’individu contre l’oppression de l’Etat. Car une fois la religion retirée de la sphère publique, elle est vite remplacée par l’Etat. Face à cet Etat aveugle, tyrannique et déshumanisé, Antigone est le rempart qui nous protège depuis 24 siècles.
Sujet
Polynice est le frère d’Etéocle, Antigone et Ismène. Avec ses alliés argiens, il veut prendre la ville de Thèbes d’assaut, et en devenir le roi. Sept combats ont lieu aux sept portes de Thèbes ; le plus important d’entre eux oppose Etéocle à son frère Polynice. Tous deux meurent. Mais Thèbes est sauvée. Créon, le tyran de Thèbes, organise des funérailles honorables pour Etéocle, mais refuse un enterrement à Polynice. Selon Créon, c’est un traître et il mérite le sort des traîtres : sa dépouille doit être jetée à l’extérieur de la ville pour être dévorée par les chiens. Antigone refuse, elle veut offrir une sépulture à son frère. Créon la menace et la met en garde. Les lois de l’Etat sont plus importantes que toute forme de compassion ou d’honneur. Antigone se réfère aux lois divines, et explique qu’elles sont plus importantes que les lois de la Cité. Créon ne veut rien entendre. Il en parle au Chœur, cherche à savoir si Antigone a des complices. De son côté, Ismène, la sœur d’Antigone, cherche à la dissuader, et refuse de s’associer à son acte. Elle préfère se plier à la force.
Antigone enfreint les ordres de Créon et va enterrer son frère la nuit. Elle est condamnée à mort par Créon. En dépit des suppliques des vieillards de Thèbes, et du fiancé d’Antigone, Hémon, fils de Créon, ce dernier ne cède pas. Antigone se suicide. Quand il l’apprend, Hémon se suicide aussi. Suivi de sa mère et femme de Créon, Eurydice.
La femme révoltée
Antigone est une des plus célèbres tragédies grecques, et l’une des plus célèbres tragédies tout court. A la différence de Les Sept contre Thèbes, la lutte entre Antigone et Créon est au centre de la pièce, cette opposition entre force brutale soi-disant émanant de la Cité et la voix individuelle, qui se réclame de valeurs supérieures, qu’on les appelle comme dans “Antigone” lois divines, ou lois naturelles comme aurait dit Rousseau. Si l’auteur s’intéresse avant tout à l’opposition entre les personnages, il décrit également leurs motivations, hésitations et convictions. Si tout les sépare, ils se ressemblent tous deux par leur obstination. Ce n’est qu’un jugement moral qui permet de juger Créon comme injuste, et Antigone comme exemple de justice. D’un point de vue psychologique, ils sont assez similaires : tous deux ne changent pas d’opinion et sont enfermés dans leurs conceptions de ce qui est bien et de ce qui est mal. Antigone est à la croisée de multiples symboles : elle est la femme courageuse qui résiste dans un monde d’hommes, elle est la supériorité de la justice face à la force brutale, elle définit aussi le système de valeurs européen, car elle ne cède pas et encourt même la mort pour des principes qui dépassent notre existence. Elle influence peut être les valeurs chrétiennes avant la lettre, puisque “Antigone” promeut aussi la supériorité du pardon sur la vengeance, et la notion de mesure dans la justice (en mourant déshonoré, Polynice a déjà suffisamment payé, et de plus, pourquoi ne pas respecter les morts ?). “Antigone”, par les multiples considérations morales qu’elle offre (l’individu contre le collectif, les lois de l’Etat contre les lois naturelles ou divines, le sacrifice personnel pour défendre des principes, la sacrosainteté du respect de la famille et des morts, l’encouragement de la révolte contre la Loi quand la loi est juste, valeur profondément occidentale…), est le trait d’union entre la civilisation classique, la chrétienté, et la civilisation européenne, à la fois gréco-romaine et judéo-chrétienne. “Antigone” est un de fondements de notre civilisation.
©Les Éditions de Londres